Matinée découverte

Le ciel était d’un gris uniforme, et les quelques rayons que le soleil daignait fournir avaient du mal à transpercer les nuages. En comparaison, le parc semblait incroyablement bariolé : Les verts vifs de l’herbe et des feuillages succédaient aux rouges, roses et dorés des fleurs. Les arbres alternaient leurs troncs bruns, roux, noirs ou gris, créant un patchwork d’écorces.

Ayant noté que le temps était revenu au sec, Amrit s’était dépêché, ce matin-là, d’engloutir son petit déjeuner, avant de foncer chercher son faucon, puis de l’emmener se dégourdir les ailes du côté du parc de Rose Blume.
L’oiseau s’était bien vite envolé, et planait dans le ciel, sans jamais toutefois s’éloigner trop de son maitre. Amrit, quant à lui, se promenait au gré des allées, et finit par se diriger, plus ou moins par hasard, vers une chapelle dissimulée derrière un petit bosquet de châtaigniers
L’endroit plût aussitôt au jeune écossais : L’aspect religieux du bâtiment ne l’intéressait guère (Malgré les efforts de son frère, Amrit n’avait jamais été convaincu par le christianisme, sans aller toutefois jusqu’à se montrer blasphématoire), mais l’esthétique du bâtiment lui plaisait, et l’atmosphère du lieu était reposante.
Il s’installa donc sur un petit banc qui se trouvait là, et entreprit d’écrire à Lord MStone :
« Mon très cher père, j’espère que cette lettre vous trouvera en bonne santé, ainsi que Lady McStone. Mon voyage vers Rosenschloss s’est agréablement déroulé. L’Autriche est un bien beau pays, et les Autrichiens, un peuple charmant… » L’essentiel était de rassurer son père et de se montrer éduqué.
De temps en temps, le faucon de Amrit lui ramenait une tourterelle imprudente, ou un petit moineau. Le garçon reposait alors son nécessaire à écriture et étudiait la prise, puis il relâchait l’animal, qui s’enfuyait aussitôt…

[Si quelqu’un veut me rejoindre, bienvenue ]

[HRP : Ben tiens, on parlait de ca...]

Cinaed MacIntyre traînait dehors, lui aussi. En fait, il était allé prier, son côté anglican et un peu superstitieux qui ressortait. Profitant de l'arrêt de la pluie, il s'était vêtu de son kilt, de ses chaussettes et de son sporran, de sa chemise blanche à col mandarin inhabituel et son gilet noir, par-dessus lesquels son tartan était jeté, fixé à l'épaule par sa broche de clan ; sur sa tête, son béret, et son long manteau noir de coupe ancienne pour se tenir chaud. Et il n'avait pas son arme, juste son dirk, car la place d'une claymore n'était pas dans la maison de Dieu.
Sortant de la chapelle, il avisa le jeune homme qui faisait de la fauconnerie. Une curieuse occupation, qu'il n'avait jamais vraiment comprise, mais il fallait dire aussi qu'il n'avait jamais eu le temps ou l'argent pour s'y consacrer. Curieux, il s'approcha de son pas claudiquant, lançant, arrivé à quelques pas, avec son allemand teinté d'un léger accent écossais :

"Guten Morgen, mein Herr ! Belle journée, n'est-ce pas ?"

[éhé, c’est maintenant qu’on va avoir le clash écossais]

Concentré sur ses travaux d’écriture, Amrit n’avait pas remarqué l’arrivée de Cinaed, mais lorsque celui-ci l’interpela, il leva les yeux de sa lettre pour considérer le jeune homme qui s’adressait à lui... Et qui était bien clément envers le climat.
Il en resta bouche bée : L’accent pouvait mentir, mais la tenue non : Il n’y avait qu’en Écosse qu’on portait le kilt ! De plus, ces motifs, ces couleurs… Impossible de se tromper, Amrit les aurait reconnus entre mille…
« -Mein Herr… » Commença-t-il… Puis Amrit se secoua mentalement, et reprit en gaélique écossais : « Sir, excusez-moi d’être aussi direct, mais je crois reconnaître en vous un MacIntyre ? Est-ce que je me trompe ? » Tout en discourant, il se redressa et tendit la main vers son interlocuteur…
Évidemment, la présence de Amrit en Autriche ayant pour but de se faire oublier de ses compatriotes, le fait de rencontrer un écossais n’était pas une excellente nouvelle, mais aucune raison de se montrer malpoli ! Et puis, un écossais aussi jeune, mais qui portait le costume traditionnel sans raison spéciale, Amrit n'en rencontrerait pas souvent...

« Les ardeurs de l’envahisseur anglais »… Aie.
Malgré le faible intérêt de Amrit pour la politique, Il avait eu droit aux cours de base, et, s’il en croyait ses oreilles, il avait devant lui un Écossais nationaliste pure souche ! Lord McStone l’avait toujours mis en garde contre ces gens : Des patriotes tellement extrémistes qu’ils en devenaient dangereux ! Plus proche d’un Français que d’un véritable Breton… Et le terme 'français', dans la bouche de Lord McStone ressemblait d’avantage à une insulte qu’à une nationalité !
Pour n’importe quel Européen, un Lord était un gentleman respectable, et les Irlandais ou les Écossais qui parvenaient à se faire admettre dans ce cercle très select étaient des génies de politiciens ! Pour un Écossais traditionaliste tel que semblait l’être Cinaed MacIntyre, un Lord Écossais ne serait qu’un traitre à son sang…
Malgré tout, Amrit ne pouvait pas cacher son rang, ni mentir. C’est donc d’une voix hésitante qu’il annonça : « Je m’appelle Amrit Gael Richard Adam McStone. Je viens de l’île de Diùra. Connaissez-vous cette région ? »
Amrit se sentit gêné d’usurper ainsi les prénoms de son frère décédé, mais s’il s’avérait que Cinaed connaisse en effet Diùra, s’il avait entendu parler de Gael McStone, fils unique et héritier de Lord Richard McStone, alors Amrit était prés à porter fièrement ce patronyme, afin de ne pas salir la réputation de son père.

[L'île de Jura se prononce Diùra en gaélique écossais... Pour les besoins du jeu, disons qu'elle appartient aux McStone depuis quelques générations...]

[HRP : Tu ne crois pas si bien dire, car à l'époque du forum, les Écossais ont automatiquement la nationalité française, et inversement, en vertu de la Auld Alliance ^_^]

Le regard de Cinaed se fit un peu plus froid. Mais il ne perdit tout de même pas sa jovialité. Même si les chiens ne faisaient pas des chats, on ne pouvait juger quelqu'un que sur ses actes, et non pas sur ceux de ses parents. Bon, après, on pouvait partir avec de méchants a priori... Autant voir tout de même ce que valait le petit jeune. Au moins, ils ne devraient pas se quereller sur la religion, Anglais comme Écossais étant anglicans...

"Tu peux me tutoyer ciosan, nous sommes du même sang. L'île de Jura, je connais de nom, mais je n'ai jamais eu le loisir d'y aller. Trop de travail à la ferme familliale... J'ai entendu parler d'un Gaël MacStone, mais il est mort à ce que j'ai cru savoir. Tu dois donc être son frère... Même si je n'ai jamais vu d'Amrit sur les arbres généalogiques. En même temps, je n'ai pas pu me tenir au courant des nouvelles du pays depuis un moment.
Arrête-moi si je me trompe, mais les MacStone n'ont-ils pas un siège à la Chambre des Lords ? Ne t'attends pas à ce que j'utilise ce titre, le cas échéant !"

Un léger sourire. Ce n'était clairement pas le début des hostilités, du moins pas encore. Juste, en gros, une reprise d'informations...

[J’étais au courant de ce petit arrangement, mais bon, les Français, ces mangeurs de grenouilles et d’escargots… C’est quand même pas un exemple à suivre, hein]

Voilà ce qu’on gagne à mentir à proximité des chapelles : Toutes vos pires craintes se voient confirmées ! Un peu plus, et Amrit aurait pu virer chrétien… Mais ce n’est pas cette fois qu’il aura son illumination : Il en avait trop dit, mieux valait continuer à mentir :
« Amrit Gael est mon nom complet. Je suis bien le fils de Lord McStone, et on m’appelle tantôt Amrit, tantôt Gael. » Espérons que Cinaed le croie, mais dans tous les cas, sa connaissance des clans et sa perspicacité étaient dangereux. De plus, cet inconnu semblait bien trop fier pour se laisser corrompre ou soudoyer… « Utilisez le titre qu’il vous convient pour me nommer. ‘Amrit’ conviendra parfaitement, puisque je ne suis, de toute évidence, pas aussi lord que mon père. »
Amrit insista légèrement sur le « vous » : Tutoyer ? De toute sa vie, Amrit n’avait jamais tutoyé que son frère (Et sa mère, lorsqu’ils parlaient en hindi…) Alors il n’allait certainement pas tutoyer cet inconnu ! Libre à celui-ci de s’adresser à Amrit de la manière qui lui convenait, mais il faudrait d’avantage de temps et de raisons à Amrit pour rendre la pareille…
« En contrepartie, permettez-moi de faire de même, et dites m’en plus sur les raisons qui vous ont tenu à cours de nouvelles de notre pays dernièrement. »
Plus Amrit en apprendrait sur ce Sir Cinaed MacIntyre, mieux il pourrait adapter son comportement.


Excuse moi pour l'ignorance, mais j'ai eu beau cherché, je n'ai pas trouvé la signification du mot "ciosan"... Un indice?]

[HRP : Ciosan signifie "cousin", en fait ^^ Vivent les dicos en ligne :p]

En fait, il n'avait jamais vouvoyé de sa vie en gaélique. Donc il n'allait pas encore réussir à s'y faire, hélas pour son jeune interlocuteur. Il n'avait réellement jamais vu d'Amrit dans les arbres généalogiques du MacStone, donc il était évident qu'il y avait anguille sous roche. Peut-être un bâtard adopté suite à la mort de Gael ? Mais après tout, cela ne le regardait pas, aussi n'insisterait-il pas là-dessus outre mesure.
Il n'allait pas non plus esquiver la question de son cousin de sang. Il lui devait bien cela, après tout !

"Une longue histoire. En gros, je me suis engagé dans les Royal Scots, comme lieutenant, pour permettre à mes parents de mieux respirer financièrement, et les aider avec ma solde. On m'a envoyé en Crimée, au siège de Sébastopol. Mes camarades de régiment étaient des Highlanders, comme moi, donc je ne pouvais pas être autrement que proche d'eux, les aider à creuser. Ça n'a pas plus aux officiers anglais et leur balai dans l'asal, on a donc eu des mots.
Et puis, au cours d'une inspection de tranchée de routine, je me suis fait toucher à la cuisse par une balle russe. Rapatriement au pays, soins compliquées, remise de l'Ordre du Chardon, tout ca. Mais bon, mes échanges sur le terrain n'ont pas échappé à certains, et avec ma solde, je me suis inscrit ici pour faire retomber la pression. C'est tout, fin de l'histoire."

Cinaed haussa les épaules. Visiblement, pour lui, c'était un simple accident de parcours. Et puis bon, il n'avait pas tout dire, mais ces autres raisons n'avaient pas être dévoilées à un fils de lord, tout écossais qu'il soit.

[Note à moi-même : A l’avenir, ne plus confondre « scot » et « gaélique » Merci]

Fier de lui, Amrit nota que son explication semblait avoir convaincu son interlocuteur ! En tout cas, il n’avait pas insisté et avait répondu à sa question. Avec un peu de chance, il n’irait pas se renseigner plus loin !
Le récit de Cinaed troubla tout de même Amrit : Il savait son pays relativement pauvre, mais tout de même pas au point qu’un fils de baron ait besoin de risquer sa vie pour renflouer les caisses de son père ! Rajoutons à ça la référence à la ‘ferme familiale’, et vous obtenez ce qui pourrait passer pour un simple paysan !
Cependant, Amrit sentit naitre en lui un début d’admiration : Un pauvre noble travaillant dur, luttant avec les siens… Il se souvint en souriant de l’histoire de Rama que lui avait conté sa mère…
« Je vois… La vie au pensionnat doit vous sembler bien ennuyeuse après toutes ces aventures ! » Aussitôt, Amrit se reprit en bredouillant : La guerre, la blessure imposée par un ennemi, on ne pouvait pas vraiment appeler ça une aventure passionnante ! « Je voulais dire ‘reposante’ ! Ce pensionnat doit être reposant, et… Et ma foi, je comprends, au vu de cette histoire que vous puissiez avoir quelque ressentiment envers les Anglais. »
On comprend également qu'après pareille vie, on puisse avoir besoin de croire en un dieu bon et miséricordieux! Amrit tourna furtivement son regard vers la chapelle de laquelle Cinead était sorti: Ce jeune militaire devait surement passer sa vie dans les lieux de cultes, à remercier le ciel pour avoir échappé à la mort! Effrayant de penser qu'il n'était pas le seul, et pourtant, que c'était lui que 'Dieu' avait choisi de sauver.

Le discours de Cinaed tombait dans l’oreille d’un sourd : Jamais Amrit n’avait eu le sentiment que l’Ecosse n’était pas libre, ni indépendante, et les luttes fratricides entre bretons étaient un gâchis. Que Cinaed visite l’Inde, s’il voulait voir un exemple de pays soumis à l’Angleterre…
La remarque qu’il émit au propos de la religion, cependant, fit violemment sursauter Amrit : On aurait dit qu’on avait lu dans ses pensées !
« Oh, je ne me serais pas permis de juger votre pratique de la foi… Je suis moi-même venu ici pour les mêmes raisons. Enfin… » Amrit jeta un coup d’œil à son poing gauche, où son gant de cuir de fauconnerie était une preuve de son nouveau mensonge. « Enfin, j’aurais été faire ma prière après m’être occupé de mon faucon. Elle n’a pas pu chasser depuis mon départ d’Ecosse, et… » Amrit haussa les épaules « Nous profitions du temps. »
Cinaed pourrait penser que la prière passait avant le bien-être d’un piaf, Amrit n’en avait cure : Dieu, avec sa vie éternelle, pouvait bien attendre ses prières une ou deux heures de plus ! Alors qu’un oiseau - et un oiseau aussi fragile que le jeune faucon gerfaut - et bien il lui suffisait d’une demi-journée sans soins pour se laisser mourir !

Pour la première fois depuis le début de la conversation, le visage de Amrit refléta un sourire sincère.
« Votre manque d’intérêt et légitime. C’est vrai que la fauconnerie est un sport démodé, et peu utile. Cependant, je pourrais regarder nos oiseaux chasser des heures ! Celle-ci... (Amrit désigna son faucon qui se lustrait les plumes, quelques mètres plus loin) ... s’appelle Doyel. C’est le seul rapace que j’ai amené ici. Je craignais que le voyage l’affaiblisse, mais comme vous pouvez le voire, elle se porte comme un charme. »
Amrit se sentait capable de parler fauconnerie sans s’arrêter, mais il savait que les interlocuteurs réellement intéressés étaient rares. Des passionnés passaient parfois au domaine des McStone, pour admirer l'impressionnante collection d'oiseaux de chasse, qui continuait de s'enrichir régulièrement d'un nouveau spécimen.
Heureusement au final que Cinaed MacIntyre ne portait aucun intérêt à la fauconnerie, car c'était là une raison de moins d'en porter aux McStone.

« Vous semblez être ici depuis plus longtemps que moi – Je suis arrivé hier soir – Avez-vous rencontré un autre de nos compatriotes ? »
Espérons que non, sinon, il faudra partir étudier encore plus loin…